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Les Voyages de Marina
9 juillet 2012

Ivoire, la petite chaussure

Mettons-nous à la place d'une petite chaussure qui attend dans sa boîte la future acheteuse. C'est ce que j'ai fait.

IVOIRE, la petite chaussure.

J’étais depuis des mois, bien rangée dans ma boîte en carton, avec ma jumelle, dans une remise mal éclairée, et sur un rayonnage parmi des centaines d’autres boîtes qui sentaient la poussière. On venait parfois me chercher pour m’essayer. «Trop petite » disaient certaines ; « trop étroite » disaient d’autres qui voulaient absolument faire entrer leurs gros panards et se retrouvaient avec les orteils serrés comme dans un étau. Alors, la vendeuse me reprenait, me glissait à l’intérieur un papier de soie qu’elle avait fripé et me redéposait dans ma boîte. Je me retrouvais alors sur l ‘étagère, me demandant si un jour je siérais à un petit pied que je n’écraserais pas, mais que je maintiendrais de ma petite bride. Un pied pour qui je serais fait, un pied qui serait fait pour moi !

J’ai vu des pieds de toutes sortes ; des gros, avec des orteils éparpillés en éventail ; des petits, potelés dont les doigts ressemblaient à des champignons, des larges qui refusaient catégoriquement de rentrer. Des pieds de lampe, des poteaux, des pieds pantouflards de mémères. Quand je sentais ces bulldozers, essayer d’entrer au prix de moult efforts, m’écornant du chausse pieds, je me refusais d’être plus confortable ; je ne pouvais me rendre sympathique alors que l’on me maltraitait, que l’on me martyrisait ; alors que l’on me faisait subir un calvaire. Il devait quand même bien y avoir quelqu’un qui m’adopte ; j’étais pourtant mignonne , je le savais ; « en chevreau » disait la vendeuse ,  pour appâter la cliente ; mais celle-ci ne mordait pas à l’hameçon et j’étais laissée de côté pour d’autres pas plus jolies. « voyez la semelle, c’est du cuir, et la petite bride, voyez comme elle habille bien  le pied » disait elle encore ; mais, rien n’y faisait. Je me voyais finir ma vie dans cette boîte. J’en voyais partir d’autres avec envie, et aussi avec jalousie ; elles allaient connaître la vie au dehors, elles !….

Dans la remise, nous nous connaissions toutes ; quelques unes, comme moi, étaient là depuis longtemps. Nous nous confions les unes  aux autres. Dans les boîtes, certains jours,  on entendait, parmi les chuchotements, quelque tristesse.

J’avais pris l’habitude de ces allers et retours ; et surtout, je connaissais les vendeuses ; il y en avait qui râlaient en me replaçant sur mon étagère ; d’autres qui me disaient « bon, ce n’est pas encore pour cette fois » ; d’autres encore qui, avec un geste de colère, me balançait à ma place, bousculant d’autres boîtes.

Un jour, on est venu me chercher et on ma mise sur un socle de verre et  exposée en vitrine. J’étais exposée comme un objet ! ou plutôt comme une fille de luxe.J’avais une petite affichette  « Ivoire  110 euros ».

J’avais un NOM, j’avais un prix. Ivoire, je m’appelais donc Ivoire ; quel beau nom ! Je trouvais qu’il m’allait à merveille ; n’est ce pas que c’est précieux l’ivoire ?  Sur mon socle je voyais passer du monde ; on s’arrêtait, on me regardait ;  je n’étais plus dans le noir de ma boîte ; par contre, j’étais souvent en plein soleil ; j’avais peur de perdre mes couleurs. Lorsqu’il y avait trop de soleil, on déroulait un grand store jaune qui reflétait une lumière chaude dans la vitrine.

Là, j’ai appris à reconnaître les passants ; il y avait  d’abord les habitué,  ceux qui avaient l’habitude de passer, tous les jours, et  même plusieurs fois par jour pour aller au travail ; ceux-là, ne prêtaient guère attention à moi ou très furtivement. Il y avait ceux qui flânaient, mais qui n’étaient pas venus en ville  pour acheter. Il y avait ceux qui étaient pressés, qui couraient presque pour avoir leur bus, eux, ne voyaient rien ou presque, uniquement préoccupés de se frayer un chemin parmi les badauds ; Ouaouh !!  ma nouvelle vie était animée ! Mais je commençais à m’ennuyer et surtout j’étais gênée d’être ainsi exposée en vitrine ; je supportais difficilement les regards furtifs, les regards curieux, les têtes qui se penchaient pour voir mon prix et qui dans le seconde qui suivait avaient sur le visage un air de mécontentement, un rictus sur les lèvres, et qui repartaient avec un haussement d’épaules.

Puis, un jour…  je l’ai vue ; Elle s’est arrêtée, m’a regardée… s’est avancée plus près pour lire mon étiquette et est entrée dans le magasin. La vendeuse est venue me chercher, comme de nombreuses fois, m’a tendue à cette dame qui me prit délicatement, comme on manipule un objet rare, en disant « juste ce que je recherchais » ; ses fines mains me tenaient respectueusement ; je sentais ses doigts qui effleuraient ma peau.

Elle s’assit et me présenta son pied,  lorsque elle le glissa  à l’intérieur, je l’épousai immédiatement ; je voulais qu’Elle soit aussi bien que dans des mules, alors, je me prêtai à ses formes harmonieuses. Elle passa la fine bride au dessus du pied et fit quelques pas ; je ne voulais pas la blesser ; je donnai alors toute la souplesse que je pouvais afin qu’elle m’adoptât. Je sentais que nous étions faites l’une pour l’autre ; j’étais faite juste pour Elle, Elle était faite juste pour moi. « elle est faite pour moi » dit-elle à la vendeuse, « je prends » dit-elle encore. Pour la dernière fois, la vendeuse me remit dans ma boîte, avec mon papier de soie ; j’aurais voulu applaudir ; enfin je partais ! enfin, je verrais autre chose que mon éternelle étagère ! ; j’étais comme adoptée. J’avais été choisie. J’étais prête à tout pour «La » séduire ; je me sentais l’âme d’une danseuse ; je voulais qu’elle me chausse pour aller danser des nuits entières ; j’étais prête à épouser son pied pour la vie entière afin qu’Elle ne se séparât pas de moi. J’avais été trop malheureuse dans ma réserve ; je voulais vivre maintenant ; je voulais briller en société, dans les réceptions ; je voulais rivaliser avec les autres.

Lorsque nous arrivâmes dans Son appartement, elle me sortit de ma boîte, m’admira encore puis me déposa sur une petite étagère dans son armoire qui sentait bon le linge séché en plein air ; je savais que j’allais être bien ; Désormais, je ne serais plus seule, j’allais sortir, j’allais être entretenue, brossée, cirée, brillée. Pour me maintenir, elle me mit une sorte de forme en bois. J’étais fière d’être là, dans sa chambre, en bas de l’armoire, car, ainsi, je la voyais tout les matins, j’étais aux premières loges comme chez les artistes, je la voyais se préparer, s’habiller, se maquiller devant la coiffeuse qui me reflétait son image ; mais, c’est surtout quand elle me choisissait, parmi d’autres paires que je me sentais fière et heureuse. Même si la journée avait été dure ; même si les trottoirs, les rues avaient  légèrement blessé mes talons, nous étions peau contre peau. Je savais que le soir arrivé, quand elle rentrerait, elle me prendrait délicatement, essuierait la poussière ramassée dans la journée, me remettrait ma forme et me replacerait dans l’armoire, et là, je pourrais m’endormir et faire de beaux rêves de chaussures ; car, à quoi peut bien rêver une chaussure, sinon  à une autre chaussure !!!……..

FIN

Texte de Marina. N'oubliez pas de mettre votre commentaire. MERCI

 

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